LA BOULIMIE DES RÉGLEMENTATIONS OU L’INÉVITABLE LIQUIDATION DES SAVOIRS POPULAIRES
Lorsqu’on parle de l’agriculture biologique, ce métier demande des compétences bien au delà des techniques de culture basées sur la philosophie « agir local, penser global ». Ce ne sont donc pas seulement les techniques agricoles mais également le « pourquoi du comment » et les conséquences des actes qui sont pris en compte.
L’agriculture paysanne biologique ne peut se pratiquer que sur des surfaces modestes et ne concerne en aucun cas des centaines d’hectares d’un seul tenant de légumes ou de plantes médicinales.
Contrairement à l’agriculture conventionnelle où les recettes et clones concoctés par des grandes firmes permettent d’obtenir des plantes à fort rendement, incapables de survivre sans l’Homme et parfois incapables de se reproduire (espèces Terminator), le but est ici d’obtenir des plantes rustiques, donnant des produits goûteux et sains, se conservant naturellement dans le temps. Des plantes naturelles, obtenues sans chimie de synthèse grâce à des techniques;agricoles modernes.
Les paysans bio sont généralement des gens passionnés ayant fait le choix de devenir paysan et de vivre auprès de la nature. Or, quand on vit près de la nature, on en vient à l’essentiel et aux rapports entre êtres vivants. L’humilité s’impose quand on est confronté aux aléas climatiques et à la force de la nature.
Il en naît un besoin d’inventivité et de solidarité, conséquences du privilège d’habiter dans la nature et d’y faire parti d’un tout. On s’inspire des observations traditionnelles tout en améliorant les conditions de sa profession.
Le Paysan-herboriste un métier de liberté
Le métier ancestral de producteur de simples est intimement lié à toute activité humaine. En effet, les plantes médicinales ont, pour la plupart, des usages multiples : alimentaires, médicinales, plantes à parfum, de confort, phytosanitaires, artisanales, utiles dans la construction, la fabrication du textile, la teinture, la décoration, etc.
Des premiers Hommes – testant et collectant des plantes pour leurs vertus – à nos jours, notre faciès a un peu changé, mais les intentions restent les mêmes (se nourrir, se soigner, rester autonomes et indépendants).
Producteur–herboriste, c’est aujourd’hui une véritable profession à part entière. Cette première activité de l’homme, devenu sédentaire, est à ce jour fortement menacée par la société elle-même et dont elle a permis l’évolution.
UN MÉTIER AUTREFOIS RESPECTE
Le métier de producteur de Simples était autrefois valorisé dans les écoles où les écoliers récoltaient les plantes pour renflouer le sou des écoles, comme on le constate dans des anciens manuels scolaires cévenols. Le statut de producteur de simples avait, et devrait toujours avoir, de multiples facettes : production de plantes fraîches, de plantes sèches, de poudres, d’huiles essentielles, d’huiles de massage…. Qui est mieux placé que le producteur-herboriste pour valoriser et favoriser le développement de la flore ?
UN MÉTIER SUR LA SELLETTE
Aujourd’hui, nous ne pouvons plus exercer cette profession en toute quiétude.
Un ensemble de lois, (différemment interprétées selon l’interlocuteur), interdit la pérennisation du statut de producteur de simples. Ceci est d’autant plus déconcertant que les médecines, dites conventionnelles, ne sont pas toujours à même de donner des réponses satisfaisantes aux petits maux du quotidien, ni au maintien d’une bonne condition. Nous ne comprenons pas toujours les guérisons à base de remèdes mais nous pouvons constater que les effets négatifs des plantes, utilisées à bon escient, sont bien moindres que certains médicaments en vente libre et dont on n’estime pas le coût induit (pollution des nappes phréatiques, allergies…).
UNE FLORE EXCEPTIONNELLE : L’ÉROSION DES SAVOIRS
Tout est fait d’ailleurs pour que la population ne sache plus utiliser les plantes ;
il est interdit au producteur-herboriste de parler des vertus et usages de ses produits. Et ceci est d’autant plus grave, que les responsables juridiques n’ont en général aucune notion de l’utilisation des plantes, ce qui met à mal tout argument légitime de défense. Certes, on ne peut pas leur en vouloir car, même et malgré le monopôle, rares sont les pharmaciens qui connaissent véritablement les simples ! Ce lobby attaque même ses confrères qui s’installent uniquement avec une herboristerie (cf herboristerie à Grenoble). Mais il n’est pas interdit de se renseigner avant de donner un jugement.
Les connaissances des plantes disparaissent alors que la flore française est une des plus riches d’Europe. Ceci entraîne, inévitablement, la destruction de sites et de biotopes de cette flore, comprenant beaucoup de plantes alimentaires et médicinales.
Or, le déficit de l’assurance maladie et la forte diminution du pouvoir d’achat des ménages, devraient inciter les politiques à développer les préparations simples de remèdes traditionnels comme les tisanes, huiles de massage et de soin…
VOUS AVEZ DIT LIBÉRÉES ?
Dans d’autres pays d’Europe ou du Monde, le législateur est moins restrictif et répressif qu’en France (« Répression des Fraudes » et non « Qualité et normes ») et au lieu des 148 plantes libérées chez nous (34 espèces au moment du jugement de la coopérative Biotope des Montagnes), nos voisins immédiats en ont libéré plusieurs centaines. Et quand on dit libérées chez nos voisins, le paysan-herboriste peut encore indiquer les usages de ses produits. En France, « libérées » veut dire que les plantes peuvent être vendues mais sans indication.
On ne peut parler de cures, de précautions ; la plante est livrée en pâture sans aucun accompagnement, sans aucun mode d’emploi.
Cette « libération » n’en est donc pas vraiment une, d’autant plus que selon la loi qui « libérait » 34 espèces auparavant, seules les espèces strictement médicinales inscrites à la pharmacopée étaient concernées.
Dans ce nouveau décret (n°2008-841 du 22 août 2008 relatif à la vente au public de plantes médicinales inscrites à la Pharmacopée et modifiant l’article D. 4211-11 du code de santé publique) se trouvent les aromatiques et épices (qui étaient libres de fait comme le romarin, le basilic, la sarriette, la cannelle, le gingembre etc), des légumes courants (également déjà libres comme le son du blé, le seigle, l’avoine, la;courge citrouille et le potiron…), des fruits (la pomme, la prune…) et des boissons (le thé, le maté). (sic)
LA POURSUITE DE LA CONFISCATION DES SAVOIRS
Ce qui se passe à un niveau planétaire : le pillage des savoirs traditionnels des peuples et de leurs ressources par l’industrie pharmaceutique, se traduit ici par l’interdiction de transmettre les vertus et le mode d’emploi spécifique à chaque plante.
Ceci veut dire, que malgré lui, le producteur herboriste français doit priver le consommateur d’une utilisation pertinente. Alors que les yaourts deviennent de véritables médicaments (alicaments).
LE CHOC DE 2 CIVILISATIONS
L’indispensable colonisation de la planète
Les paysans bio savent, par expérience, que les plantes ne restent pas cloîtrées au champ, elles se disséminent de par le monde. C’est tout le problème des OGM, dont les adeptes croient pouvoir maîtriser les allées et venus. Eh, oui l’Homme actuel, se croit capable de tout contrôler, le législateur a tout préparé pour trouver les coupables. Mais aucune loi ne détournera la vie de sa mission naturelle : assurer sa descendance et la colonisation de la planète… Les paysans auront beau travailler éthiquement, les OGM arriveront, de fait, dans leurs champs. Certes, les ignorants pourront les juger coupables. Mais ceci est un autre débat, toutefois tout se tient.
En France et en Europe, les conséquences des drames occasionnés par des choix « économiques » et politiques désastreux (sang contaminé, vache folle, poulet aux dioxines etc.) obligent les paysans à répondre aux normes industrielles totalement inadaptées à leurs productions traditionnelles et artisanales basées sur l’éthique et non pas sur le seul profit.
Les réglementations dont les conséquences, à l’échelle des chiffres d’affaires des multinationales sont de l’ordre de grandeur du pixel, excluent, de fait, les fermes familiales ou petites entreprises (surcroît de travail, coûts insupportables…). Analyses d’innocuité, tests en laboratoire très onéreux, législations inadaptées, nous sommes cernés par des obligations administratives qui n’ont absolument rien à avoir avec une activité traditionnelle (avez-vous déjà vu la taille d’un dossier de déclaration d’agriculteur ?).
Qu’il faille se prémunir des agissements irresponsables des criminels de la nourriture, soit, mais il faut se garder d’attaquer la substantielle moelle de la société : les pratiques à base de savoirs ancestraux.
Et quand il s’agit de lobbies comme les semenciers (cf. le combat de Kokopelli et Semences paysannes) on est dans la caricature et la démonstration du monopôle absolu. C’est un combat de chasse gardée qui de plus est très dangereux pour la planète car une semence qui n’évolue pas, une plante qui ne s’adapte pas aux changements climatiques, c’est la famine assurée. Et en cela, il est nécessaire d’avoir une vision globale de l’évolution et non une vision réduite au seul profit.
Autrefois on nous l’enseignait pourtant :
L’AB : LA RECUPERATION
Nous avons été un certain nombre à croire dans les années 1980 que l’homologation de nos cahiers des charges (Nature et progrès, Demeter et SIMPLES) nous permettrait de rendre compréhensible nos techniques agricoles, la qualité de nos produits et notre rapport à la nature. Mais l’agriculture biologique est devenue non plus un mode de production éthique mais un produit à forte valeur ajoutée potentielle, les grandes firmes qui s’y engouffrent tirent la législation vers le bas. Ce travestissement, de la notion même de l’agriculture agrobiologique a poussé le syndicat SIMPLES1 à reprendre son autonomie après avoir pourtant pu faire homologuer la cueillette sauvage comme un mode de production relevant de l’AB.
L’AB : une certification partielle
Mais on nous confisque des pans entiers de production qui répondent aux exigences de l’agriculture bio, simplement parce qu’il s’agit de produits non alimentaires. Pour ce qui concerne les plantes médicinales, dès qu’on y ajoute de l’huile biologique pour faire une base de cosmétiques, ce n’est plus considéré comme relevant de l’agriculture biologique. C’est donc la destination qui est la plus importante et non le mode de fabrication et il faut alors adhérer à d’autres cahiers des charges.
LA NOUVELLE TROUVAILLE : LE MONO-USAGE !
Des produits agricoles sont dorénavant réduits à un mono usage (cf. règlement étiquetage), ce qui ramène les simples à de vulgaires produits de consommation et non à des plantes « êtres vivants et complexes ». Fini la plante compagne, on légifère et rend statique et sans surprise le vivant ; soyons cartésiens : un usage par plante c’est déjà fort complexe pour le législateur. Imaginez une huile essentielle, produit exceptionnel fabriqué par certains végétaux et nécessaire à leur survie, qui ne peut plus n’avoir qu’un unique usage, lequel choisir ? Comme nous sommes obligés d’être en conformité avec la loi, nous devenons ici encore complices de ce travail de sape des savoirs traditionnels. C’est pourtant ce patrimoine de l’humanité, qui nous permet de vivre en harmonie avec les plantes et la nature et par conséquent, avec l’humain.
Une législation en mouvement
La rapidité de cette évolution législative, qui nécessite la constante mise à niveau des compétences juridiques, dépasse même les instances officielles qui ne maîtrisent pas/plus les textes de loi (cf. condamnation en première instance de Biotope et de son représentant) et rend impossible le nécessaire recul de jugement qui caractérise une démocratie en bon fonctionnement. De plus, il est parfois fort difficile de trouver les textes comme nous l’avons constaté lors du procès de Biotope des montagnes.
CONCLUSION : REDONNER LEUR STATUT AUX SIMPLES
Les multinationales posent plus de problèmes qu’ils n’en résolvent pour ce qui concerne la nutrition sur notre planète. Alors vouloir éliminer les paysans au nom d’une modernisation mondiale est une erreur fatale. Et quand je parle de paysans, cela nous concerne personnellement mais également tous les paysans du monde. Car nous jouons un rôle indispensable dans la résolution de problèmes comme la faim, la pollution et la pauvreté.
Il est urgent que les politiques se réveillent.
Les simples doivent retrouver leur statut traditionnel de plantes à usages multiples. En effet, il n’existe pas à ce jour de statut légal clair pour ces espèces qui sont à la fois des remèdes, aliments, cosmétiques et/ou plantes phytosanitaires…. Nous devons avoir le droit de transmettre les vertus des plantes en dehors de quelque monopole que ce soit. Il ne s’agit pas de faire des diagnostics, il s’agit d’informer sur des vertus.
Les producteurs du syndicat Simples, ainsi que de nombreux ethnobotanistes, scientifiques et consommateurs ont d’ores et déjà créé un collectif “Populus”3 qui se charge de faire des propositions adéquates aux pouvoirs publics (construction d’un corpus de référence, réhabilitation du diplôme et du métier d’herboriste).
Le combat continue. L’expérience nous a montré que rien n’était inéluctable et que les combats n’étaient jamais perdus d’avance. Résistons à la confiscation de notre patrimoine de l’humanité et restons solidaires. Restons Simples, restons paysans.
européens (Italie 1034 plantes médicinales en vente libre, Grande Bretagne 400, Belgique 366, Allemagne 341), nous n’avons toujours pas de nouveau décret.
PRODUITS 100% BIO POURTANT NON CERTIFIABLES
Actuellement nous sommes dans l’impossibilité de faire référence au système de contrôle européen de l’AB pour des produits cosmétiques à base de plantes (huiles essentielles, eaux florales, sels de bain, macérations…) alors que 100% des ingrédients sont biologiques.
Ce qui impose un contrôle supplémentaire et onéreux.
UNE LOI QUI EXCLUT LES MONTAGNARDS
résidant en zone de montagne à 1200md’altitude a été condamné par le tribunal d’Issingeaux parce qu’il avait fait référence sur ses étiquettes à la « montagne » sans avoir préalablement déposé un dossier à la Draf (Direction régionale de l’agriculture). Pourtant, tout le monde s’accordait à dire que la demande était trop lourde à l’échelle d’un producteur.
LA SIMPLIFICATION PAR L’ABSURDE DE L’UNION EUROPÉENNE
La réglementation concernant l’étiquetage
LA MAIN MISE DES INDUSTRIELS
UNE MISE EN ACCUSATION ABUSIVE
La sica Biotope2, membre du syndicat Simples, a été condamnée en première instance par rapport à une loi européenne sur les nouveaux aliments transcrite en France en 2000 pour la vente de la prêle (qu’elle commercialisait depuis 1985 sans problème). 10 autres plantes étaient mentionnées dans les différents procès verbaux, soit environ 20% de la gamme proposée.
La condamnation par ce tribunal était motivée par la loi européenne sur les nouveaux aliments de 1997. La prêle étant une plante de cueillette, le juge estimait qu’elle ne pouvait bénéficier de l’exception indiquée dans l’article 1
paragraphe » 2e » de ce texte » : (…)
Ce verdict clôturait un combat de 6 années pour la survie de la coopérative. L’État, par la voix de la Répression des fraudes, a ainsi mis en difficulté des petits agriculteurs sans excuse ni réparation. Une interprétation erronée de leur part n’a aucune conséquence pour eux. Le contraire aurait coûté la vie à une structure qui permet à plusieurs familles de vivre.,Dans d’autres pays, ce type de service de contrôle de la qualité et de conformité avec la loi permet une concertation et un travail préventif, facilitant la mise en conformité des entreprises. En France, le titre même de cette structure « Répression des Fraudes » annonce le climat de suspicion qui – la pratique nous l’a démontré – exclut toute forme de dialogue et d’information. Les producteurs n’ont eu aucun espace d’expression ou de défense avant que le dossier ne soit transmis en justice. Ils étaient considérés coupables dès le départ de l’affaire, ce qui est inquiétant en démocratie.
1SIMPLES (Syndicat Inter-Massif pour la Production et l’Économie des Simples) est un syndicat de producteurs de plantes aromatiques et médicinales respectant un cahier des charges de l’agriculture biologique spécifique à la montagne.